Une légère brise soufflait sur la mer et poussait vent arrière les vaisseaux de la flotte française. Une longue ligne d'une vingtaine de bâtiments de guerre qui avaient quitté deux jours auparavant leur mouillage de Fort-Royal de la Martinique pour gagner le Cap Français base navale la plus importante de l'île de Saint-Domingue. C'était une force impressionante, de hauts gréements de guerre, les meilleurs vaisseaux du monde. Des vaisseaux français, rapides bien armés et solides, parmi ces silhouettes imposantes celle du vaisseau-amiral se détachait, écrasant toute les autres par sa taille et son imposante majesté. Le Royal-Louis était un fier vaisseau de premier rang, premier ordre, trois-ponts et fleuron de la Marine Royale. A son mât de misaine, la marque du lieutenant-général Marc de Boisnoir claquait fièrement.
Ce dernier effectuait sa promenade matinale sur la dunette de son bâtiment, profitant du bord au vent et de la paix monumentale que lui accordait ses subordonnés. Dans la Marine, le commandant d'un vaisseau de ligne jouissait de fortes prérogatives et d'une intimité incontestable, mais même ces prérogatives devaient laisser la place face à celles de l'amiral, ce dernier était donc un être quasi-divin, inaccessible pour le commun des mortels et ses subordonnés dans la flotte. Autant dire presque tout le monde à part quelques rares privilégiés dont son aide de camp et son chef d'état-major en particulier. Mais pourtant son statut le laissait solitaire, parmi un équipage de plus de mille deux cent hommes.
Il appréciait particulièrement arpenté la dunette à l'aube, regarder le soleil se lever et sentir les derniers instants de la fraîcheur nocturne, puis les prémisces d'un jour nouveau. Le vent était plutôt faible mais il suffisait à pousser les vaisseaux français à quelques trois noeuds vers leur destination. Il semblait qu'il devrait forcir en fin d'aprés-midi. Comme d'habitude les hommes de la bordée de repos (en l'occurrence les bâbordais) se livraient à diverses activités. Chiquer, sculpter de petits navires et pêcher. Il pouvait revendre ensuite le fruit de leur pêche aux officiers et ainsi augmenter un tant soit peu leur maigre solde. Soudain un cri attira son attention:
-Oh Ma Doué! Malo regarde-moi ça! T'as vu ce poisson un peu!
-Pour sûr Erwann c't'un bel animal! Eh toi le fusilier amène-toi un peu ici et descends-le on pourra se faire un bon prix.
L'un des officiers qui avait beaucoup voyagé retint le soldat avant qu'il ne mette un joue. Il avait fait le tour du monde à bord d'une frégate et avait ainsi vu de nombreux animaux. Il ne se rappelait pas pourtant de ce genre de mamifères marins.
-Ce n'est pas un poisson ignares! Ceci est un dauphin ou un lamentin... Oh Seigneur! Quelle est cette sorcellerie.
L'officier de quart arriva, s'enquit de ce qui choquait son suppléant à ce point et après s'être fait expliquer la chose regarda à son tour le poisson et se signa. La curiosité de Boisnoir fut piqué au vif, quittant le côté tribord, il gagna bâbord et se pencha par-dessus la lisse. Il n'en crut d'abord point ses yeux, l'animal vu par les marins et les officiers semblaient être une... une sirène!