Boisnoir regardait les ruines fumantes de ce qui avait été l'inexpugnable repaire secret des pirates, à présent aux mains des troupes de la coalition européenne. La bataille avait été brève et peu coûteuse en hommes pour l'Armada. De leur côté, ils avaient tués, blessés ou capturés près de deux milles rebelles et coulés ou pris une vingtaine de bâtiments. Mais cette victoire était avant tout psychologique, elle démontrait aux pirates que n'importe où, l'Armada saurait les trouver et les exterminer. En prenant la plus secrète de leur cachette, l'Armada avait fait un travail magnifique qui ferait douter les ennemis et renforceraient la cohésion entre cette coalition multinationale et Ô combien fragile.
Dans cette victoire, Boisnoir avait joué un rôle glorieux et c'était à lui que Beckett avait confié le soin de détruire la ville et de rendre la baie inutilisable. Boisnoir allait s'acquitter de sa tâche avec zèle et expèrience. Le fragile monticule d'épaves avait été vidé de tout ce qui pouvait servir, vivres, munitions, poudres, canons, mâts de rechange,... le reste devait être détruit. Pour cela, quelques barils de poudre avaient été placés aux endroits clés des fondations pour détruire plus aisément l'ensemble. Mais pas trop de poudre car elle coûtait cher! Pour le reste, des cables reliés aux cabestans des vaisseaux de ligne avait été noués aux piliers principaux pour que le tout s'effondre. Enfin des matières incendiaires avaient été placés un peu partout pour que ce qui restait de bois s'enflamme d'un coup.
-Les barils sont-ils en place?
-Oui mon général!
-Parfait et les hommes sont-ils parés aux cabestans?
-Oui mon général!
-Bien dans ce cas hissez le signal capitaine!
Aussitôt une flamme orange monta au grand-mât de fortune du Royal-Louis et des canots s'éloignèrent de la terre, transportant les mineurs et sapeurs chargés de placer la poudre et d'allumer les mèches. Quelques instants plus tard, quelques explosions assourdies par la distance parvinrent aux oreilles de Boisnoir et il vit le haut monticule d'épave frémir avant de s'écrouler en s'effritant, petit à petit. Des flammes jaillirent allumées par les explosions et la ville commença à flamber. Les secousses étaient transmises aux navires à l'ancre par les câbles qui les reliaient aux piliers de la ville.
-Pare au cabestan! Et vire! lança le maître d'équipage.
Les hommes poussèrent de toutes leurs forces et les piliers s'arrachèrent au loin faisant carrément s'effondre la cité dans un déluge de feu et d'étincelles. Tout cela était bien beau à voir, une image d'apocalypse comme ce qui allait advenir désormais aux pirates. Les équipages tranchèrent les câbles puis levèrent l'ancre pour sortir de la Baie avant que Boisnoir n'exécute la dernière partie du plan.
Il avait fait charger plusieurs gros navires pris aux pirates avec de lourds blocs de pierre. Ces derniers furent placés à l'entrée de la baie et leurs faibles équipages les abandonnèrent. Au bout de quelques minutes, des faibles explosions retentirent et les navires coulèrent à pic atteignant le fond de l'eau en quelques secondes. Ce fond était si peu profond que les mâts des navires dépassaient. Ainsi, personne ne pourrait entrer en navire dans la Baie sans couler ou abimer gravement son navire. La coque de ce dernier raclerait en effet les navires coulés par Boisnoir.
Ayant récupéré ses équipages, l'amiral français fit servir et les derniers navires de l'Armada présents mirent le cap vers Port-Royal disparaissant bientôt sous l'horizon laissant derrière eux une Baie désolée et ravagée ou les corps des pirates capturés se balançaient au bout d'une corde à l'entrée. Vision d'horreur, leur nez avait été coupé et leurs joues ou leur front marqués de la fleur-de-lys, emblème du Roi de France. Ainsi périssaient ceux qui osaient défier l'autorité du Roi...